J’ai fait de la cramaillotte.
Et j’ai eu le goût de vous le partager, parce que ça sonne chic et aussi par la fierté d’avoir cuisiné quelque chose d’original, avec ces « deux mains-là ». De la cramaillotte, ça sonne bien, hein ? On dirait un dessert haut-de-gamme français mais dans le fond, c’est juste de la gelée de pissenlits. Oui oui. De pissenlits, le fléau jaune honni par les maniaques de la tondeuse qui rêvent d’un tapis vert comme à Mar-a-lago.
Avant de tondre justement (et en prenant soin d’en laisser une pochetée en place pour les abeilles) j’ai cueilli.
J’ai changé, depuis que j’ai commencé à lire Cueillir la forêt, guide d’identification des plantes sauvages*, un petit bijou d’ouvrage qui m’a ouvert grand les yeux sur toute la richesse gratuite qui pousse tout autour de nous. Pas besoin d’abandonner un rein à l’épicerie pour se remplir le garde-manger de produits frais et sains, juste à ouvrir les yeux ! Y’a du lunch qui pousse même jusqu’à travers le stationnement.
Salut, plantain.
Je vois déjà le nez plissé du monde qui se demande « ouin, mais ça goûte-tu bon ? »
Oui, c’est bon. Ça goûte la liberté. Ça goûte la débrouillardise. Et entre nous, se tartiner une toast de gelée de pissenlits un matin de juillet avec les oiseaux qui chantent… C’est ben meilleur que ben des pots de confitures commerciales qui goûtent le frigidaire.
Le pissenlit, c’est l’exemple facile. Mais la quenouille, ça se mange. Et le poivre des dunes, c’est un petit miracle en grain. La mélisse, les jeunes pousses d’épinette, l’oseille sauvage, les têtes de violon, les salsifis des prés (allez googler, on s’enfarge littéralement dedans et presque toutes se parties se consomment).
C’est rendu que je me méfie de marcher trop vite dans ma cour, tout d’un coup que je piétinerais une partie de mon souper. Me sens un peu comme dans la chanson Gentlemen Farmer de JP « le Pad » Tremblay. Ça me réjouit.
Dans un monde où tout coûte une beurrée, apprendre à s’alimenter dans sa cour, dans le sous-bois ou les fossés, c’est un acte de douce rébellion. Ça, pis chasser aussi. On s’en est déjà parlé.
Y’a quelque chose de profondément satisfaisant, parfois même gossant de fierté, dans le fait de canner sa propre quenouille. De cueillir soi-même, de transformer, de mettre en pot. On fait pas juste nourrir son monde : on nourrit notre autonomie, notre estime, pis notre lien avec quelque chose de plus grand que le spécial de la semaine.
C’est pas juste manger local, c’est manger vivant. Et c’est connecter.
La nature, elle est loin d’être cheap. Elle demande juste de ralentir un peu, de regarder, pis de pas tout arracher comme un bulldozer. Qu’on en prenne chacun juste notre petite part.
Alors la prochaine fois que vous regarderez votre cour en vous disant qu’y faudrait ben la désherber, pensez-y deux fois. Vous être peut-être assis sur une salade, un dessert ou un projet de fierté en pot Mason.
* Ariane Paré-Le Gal et Gérald Le Gal aux Éditions Cardinal