S'il y a un moyen de transport qui a favorisé la colonisation de la région, c'est bien le train. Cette semaine, nous allons refaire notre histoire ferroviaire. Une histoire parsemée de défis et de dur labeur.
La nécessité d'un accès rapide à fort tonnage
Ériger une région entière, à coup de canots et charrettes, s'avère rapidement un frein aux besoins grandissants de nos premiers bâtisseurs. Encore dans les années 1860, il n'y avait aucun chemin de fer au nord du fleuve Saint-Laurent.
Cette partie du Québec se développant à grande vitesse, il était impératif d'y implanter le train, qui pouvait transporter des gens, mais surtout des matériaux nécessaires à la construction.
Qui plus est, les entreprises forestières avaient besoin d'un service de transport qui n'était pas dépendant des saisons.
On commence par la région de Québec
Au tout début des années 1870, un premier petit tronçon de quarante kilomètres, éphémère de par sa construction, est construit de Québec au comté de Portneuf.
Cette première tentative n'a pas la réelle ambition d'aider à la colonisation. Elle sert avant tout au transport local, pour le bois de chauffage des habitants de Québec.
Au surplus, la voie est faite de lisses de bois... Ces premiers quarante kilomètres ne résisteront pas longtemps aux intempéries de notre climat.
Inaugurée en 1870, son changement de nom de Québec and Gosford Railway à Quebec and Lake St-John Railway , à la fin de la même année, cache des intentions à venir.
Quebec and Lake St-John Railway.
Ce premier pas n'ira pas plus loin que Portneuf, puisque la ligne est abandonnée en 1874. Nous sommes encore bien loin du Lac-Saint-Jean!
Plusieurs années de réflexion
À la suite de l'arrêt des opérations de cette première tentative, deux promoteurs, James Guthrie Scott et Horace Jansen Beemer, décident de relancer l'idée avec, cette fois, un projet ambitieux: se rendre jusqu'au Lac-Saint-Jean.
Horace Jansen Beemer
Notre chemin s'est croisé deux fois, depuis mars dernier, avec cet homme. Lors de la chronique sur l'histoire du tourisme et celle sur l'histoire de la pêche. Il fait partie des personnages incontournables de la région.
Je ne vais pas revenir sur ce qui a été dit lors de ces chroniques, mais simplement ajouter que Beemer est probablement né en 1845, en Pennsylvanie. Il se maria à Claire Éveline Dufresne en 1887.
Homme infatigable jusqu'en 1910, il fut impliqué dans des dizaines de projets de construction un peu partout au Québec. Il était un virtuose du refinancement.
Y allant d'emprunts, de subventions et d'associations avec des personnes influentes, il devint, dans les années 1880 et 1890, lui-même un personnage significatif de la finance.
Toutefois, il perdit beaucoup de son lustre à la fin de sa vie à cause d'échecs successifs. Il décéda d'épuisement à Londres, en 1912.
Beemer se positionne
En 1875, Beemer et son acolyte obtiennent les autorisations nécessaires, de la part du gouvernement du Québec et conservent le second nom de la défunte Québec and Gosford Railway.
La Quebec and Lake St-John Railway a maintenant les appuis nécessaires et les capitaux en conséquence.
Quebec and Lake St-John Railway.
Source: Wikipédia
La question du tracé
Avant de se lancer vers le Lac-Saint-Jean, il faut savoir de quel endroit nous devons partir! Le gouvernement opte enfin, plusieurs années après 1875, pour un tracé qui partira de Limoilou (pour avoir accès au port), puis se rendra à Saint-Raymond, en passant par Charlesbourg.
Après plusieurs ajustements, les travaux de ce premier tronçon de soixante kilomètres débutent enfin et Saint-Raymond est rattachée à la ligne, en 1881.
Il reste encore à faire le plus gros du travail, soit un peu plus de deux cents kilomètres.
Vers le lac Édouard
En 1883, on confirme que le chemin de fer se rendra dans la région et que ce sera la Quebec and Lake St John Lumbering and Trading Company qui sera responsable des travaux.
Cette fois, Horace Jansen Beemer sera seul maître à bord pour les opérations, mais dépendant de ses associations et du gouvernement pour le financement.
La première grande étape sera de se rendre au lac Édouard. Chose qui sera faite en 1886. On y construit une première vraie gare sur le tracé. La gare est dotée de tous les services modernes pour les passagers, les futurs touristes, et l'industrie ferroviaire.
Nous pouvons y dormir dans un dortoir et y télégraphier. Un atelier de réparation est également construit pour les besoins des locomotives et autres.
Le lieu devient rapidement un attrait pour les pêcheurs de Québec et d'ailleurs. Un hôtel y est érigé avec tous les services aux sportifs, comme des chaloupes et guides.
Enfin le Lac-Saint-Jean
Les étapes avancent rapidement. Au Lac-Saint-Jean, on se prépare pour ce qui est déjà un service essentiel avant même son arrivée. Les gares se construisent un peu partout sur le tracé: Lac-Bouchette, Chambord, et Roberval, dernier arrêt de ce premier projet.
1888
L'année 1888 en est une importante pour toute la région. Des fêtes d'inauguration sont organisées dans chacune des gares. La région a enfin son train.
À Roberval, Horace Jansen Beemer fait construire son Hôtel Roberval. Si les touristes déferlent, les locaux peuvent maintenant se rendre à Québec en moins d'une journée, et ce, dans un relatif confort. C'est une révolution sociale.
Un sursaut économique
Nous pourrions citer plusieurs exemples de ce genre, mais l'arrivée du train a provoqué un véritable sursaut économique dans la région.
Ainsi, en août 1888, quelques mois seulement avant l'ouverture officielle de la voie ferrée, un journaliste du journal L'Électeur est de passage.
Il ne manque pas d'écrire à son rédacteur en chef, lui mentionnant qu'on lui a raconté qu'en seulement deux mois, c'était plus de vingt-huit nouvelles constructions qui étaient maintenant debout à Roberval et que les gens se préparaient à recevoir les touristes.
Il prédit que de village, Roberval sera très bientôt une petite ville, grâce au train.
Au passage, il signale également que le Lac-Saint-Jean n'a pas besoin de journalistes, puisque les nouvelles se transportent d'un bout à l'autre de la région, en quelques heures seulement, à cause des rumeurs!
Un effort monétaire titanesque pour l'époque
Il en aura coûté près de neuf millions de dollars de l'époque pour financer le projet. La moitié de ce montant provint du gouvernement.
Le Saguenay
En 1892, le Saguenay n'est pas encore relié au réseau. Les travaux débutent et Chicoutimi accueille son premier train, en août 1893. C'est à ce moment que l'on construit la gare d'Hébertville.
Des relations de travail parfois houleuses
Ce n'est un secret pour personne, les conditions de travail, pour les hommes qui ont construit de leurs mains ce chemin de fer, étaient difficiles. Comme bien d'autres travailleurs du temps, dans les chantiers de coupe de bois, de drave ou autres, ces employés travaillaient du matin au soir.
Ces conditions difficiles touchaient également les employés qui durent opérer la machinerie après l'ouverture de la ligne. En 1893, des ingénieurs du lac Édouard firent la grève, car, on leur demandait de travailler plus de dix-huit heures par jour!
Cette situation était récurrente pour les employés de Beemer. Souvent à court d'argent, l'entrepreneur devait courir chez des prêteurs, refinancer ses projets, se départir de ses actions dans un autre, ou trouver des fonds privés pour finalement payer les gens.
Les premières années sont rentables
Propulsées par la nouveauté de la chose et l'industrie du tourisme, les premières années du chemin de fer sont très rentables dans la région. De 1892 à 1900, le nombre de passagers double, les recettes doublent et le transport de marchandises lui, triple.
Malgré tout, même si les revenus sont là, les dépenses elles, augmentent toujours. Le coût d'entretien de la ligne, perdue en plein bois, les fréquents bris de la machinerie et l'essoufflement du tourisme de la pêche au fil du temps, finissent par peser lourdement sur les finances de l'entreprise.
Il faut le dire, la sécurité est fragile sur la voie ferrée et les incidents, fréquents.
Par exemple, en 1893, au même moment où l'on s'apprêtait à recevoir le train à Chicoutimi, un arbre tombé sur la voie, à cause d'une tempête de vent, fit dérailler l'engin. Pas de blessé, mais à chaque fois, des réparations coûteuses...
À la fin des années 1890, le gouvernement aide Beemer, mais ce n'est pas assez pour maintenir l'entreprise dans des eaux moins troubles.
Beemer tiendra le coup, tant bien que mal, jusqu'en 1906.
La fin de la Quebec and Lake St-John Railway
La seconde grande période de l'industrie du train, dans la région, débute en 1906, alors que Sir William Mackenzie et Sir Donald Mann deviennent actionnaires majoritaires de la Quebec and Lake St-John Railway.
Mackenzie et Mann n'ont pas d'intérêts particuliers pour la région. Ce sont des investisseurs qui achètent de petites compagnies de chemins de fer, afin de se bâtir un empire dans ce secteur.
Peu après leur prise de contrôle, le nom mythique Quebec and Lake St-John Railway disparaît et la région est maintenant desservie par la nouvelle entité des deux hommes, la Canadian Northern Quebec Railway.
Malheureusement, l'éparpillement de leurs possessions et de nombreux projets déficitaires poussent la compagnie en difficultés financières dès 1917.
Nationalisation
Cette période coïncide avec le désir du gouvernement fédéral de nationaliser le transport ferroviaire. En 1918, les rails du Saguenay-Lac-Saint-Jean passent au Canadian National Railways (CN).
Ceci tournait définitivement la page de l'aventure de la conquête de la région par le train.
Christian Tremblay, chroniqueur historique
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