Originaire du Jura suisse, dans la partie francophone du pays, la famille Lehmann vient du petit village de Villard-sur-Fontenais, tout près de la frontière française. Après deux ou trois séjours exploratoires de ses parents pour repérer des terres agricoles, la famille s’établit définitivement à Hébertville en 1983.
Dix personnes — incluant le grand-père, une tante et ses deux garçons — prennent alors part à cette grande aventure. Comme condition pour obtenir leur visa d’immigration, les Lehmann doivent acquérir une ferme déjà opérationnelle, générant un revenu de départ.
Ils achètent une petite ferme laitière alors un peu négligée, mais qui offre une base solide pour commencer une nouvelle vie. Jacob Lehmann, le père, avait déjà fabriqué du fromage artisanal en Suisse avec son frère. Ils transformaient le lait des neuf vaches familiales et avaient créé leur fromage maison : le « Es Cotay », du nom de leur ancienne rue, qui signifie en vieux français « le côteau ».
De 1983 à 2001, la famille exploite uniquement la ferme laitière. L’idée de refaire du fromage n’est jamais bien loin, mais la charge de travail et les enfants du couple encore jeunes retardent le projet.
C’est le retour en région de Léa, la benjamine, qui relance l’idée d’une fromagerie familiale à partir de 2001. Les Lehmann développent alors plusieurs fromages de vaches brunes qui deviendront bien connus : le Kénogami, le Pikauba et le Valbert. Plus récemment, ils ont ressuscité le « Es Cotay » pour refermer la boucle, un produit offert exclusivement à la boutique de la ferme sur le site.
La maison d’Isaban — comme celles de plusieurs membres du clan — s’inspire du groupe d’écologie GREB à La Baie, mêlant architecture suisse et recouvrement en bois. Avec les pentes du Mont Lac-Vert en arrière-plan, le domaine des Lehmann porte bien son surnom de « Village suisse ».
Isaban, troisième des garçons, est responsable de la ferme, des champs, de la machinerie ainsi que de l’entretien des bâtiments et équipements. Son frère Sem gère le troupeau, tandis que Léa dirige la fromagerie, la transformation et la vente. Leur autre frère, Mériol, installé à Montréal, œuvre dans la photo aérienne et la documentation du patrimoine rural québécois — une autre façon de rester lié au monde agricole. Aujourd’hui, la ferme et la fromagerie se portent très bien.
La famille assure elle-même la distribution dans la région, alors qu’un distributeur à Québec s’occupe des surplus destinés à l’extérieur.
De nouveaux membres se greffent aussi à l’entreprise : Jeanne, 22 ans, fille de Sem, s’est jointe à la fromagerie au printemps dernier, et le fils d’Isaban commence lui aussi à contribuer. Aurélie, leur cousine — surnommée la chef — a elle aussi quitté la Suisse il y a quelques années pour rejoindre l’aventure familiale au Lac-Saint-Jean.
Traditions d’ici et d’ailleurs
La famille se réunit abondamment durant les Fêtes. Chaque année, une patinoire est aménagée sur le lac pour patinage et parties de hockey improvisées. Le Réveillon se déroule chez les parents ou chez la sœur d’Isaban.
Si la tourtière n’a pas encore pleinement trouvé sa place dans leurs traditions, les Lehmann préparent plutôt un gros jambon de Noël. Élevant leurs propres porcs, ils fument la viande trois semaines à l’avance.
Une tradition européenne se maintient également : celle des chandelles installées dans le sapin — aujourd’hui placées plus sécuritairement sur des branches décoratives au centre des tables.
Après une quinzaine d’années sans y retourner, Isaban a revisité la Suisse en 2024 avec toute la famille, et y retourne maintenant chaque année. De leur pays d’origine, ils reçoivent encore des colis : la demi-sœur d’Isaban envoie chaque année un grand paquet rempli de chocolats et de spécialités suisses.
Un accueil chaleureux à Hébertville
Les Lehmann soulignent que, dès leur arrivée en 1983, les gens d’Hébertville les ont accueillis avec chaleur. La communauté s’est rapidement approprié leurs fromages — au point d’en faire des produits emblématiques qu’on apporte fièrement ailleurs au Québec.
« On est vraiment bien dans notre pays d’adoption. Les Québécois sont très accueillants », résume Isaban.