Les effets de la réduction des seuils d’immigration par Ottawa, et dans une moindre mesure, par Québec, commencent déjà à se faire sentir dans la MRC de Lac-Saint-Jean-Est. Et le pire est à venir, croient plusieurs acteurs politiques et industriels régionaux.
Il y a un mois, le gouvernement fédéral présentait dans son budget les grandes lignes de son Plan des niveaux d’immigration 2026-2028. Celui-ci vise essentiellement à réduire le nombre de résidents temporaires et à stabiliser les seuils d’immigration permanente, déjà abaissés l’an dernier.
Le nouveau plan abaissera presque de moitié le quota annuel d’admission des résidents temporaires, qu’ils soient travailleurs ou étudiants, en établissant la cible à 385 000 en 2026, comparativement à 673 650 en 2025. Ce seuil diminuera ensuite à 370 000 pour 2027 et 2028, alors que le Plan présenté l’an dernier fixait la cible à 543 000 pour 2027, rappelait récemment le quotidien Le Devoir.
En ce qui concerne les cibles de résidents permanents, Ottawa les maintiendra à 380 000 par année pendant trois ans, une légère baisse par rapport à 2025, où elles s’élevaient à 395 000. En contrepartie, Ottawa prévoit d’accorder la résidence permanente à davantage de migrants économiques, soit à 64 % d’entre eux plutôt que 59 %.
Des efforts en vain?
Dans ce contexte, Louis Leclerc, conseiller municipal à Alma et directeur Qualité et amélioration continue chez Constructions Proco, soulève que « de nombreuses entreprises du Saguenay-Lac-Saint-Jean se sont organisées et ont beaucoup investi dans le recrutement de travailleurs temporaires à l’étranger (entre 12 000 $ et 15 000 $ par travailleur recruté), et pas parce que c’est de la main-d’œuvre moins chère, mais bien parce qu’il n’y en a pas, de main-d’œuvre ici ». C’est qu’avec le vieillissement de la population, « au Saguenay-Lac-Saint-Jean, la population [active] ne s’est pas renouvelée », faisant du recrutement à l’international une nécessité pour la région.
Plusieurs municipalités ont également investi dans le déploiement de stratégies d’attraction, de rétention et d’intégration des travailleurs étrangers. À ce titre, le maire de Métabetchouan-Lac-à-la-Croix, André Fortin, pense que la diminution des quotas d’immigration pourrait de rendre ces efforts caducs.
« En tant que “municipalité attrayante”, dit-il, on a investi pour les accueillir, on essaie de les introduire dans notre milieu [les travailleurs étrangers]. Puis là, ils vont partir. C’est comme si on avait mis de l’argent dans le vide, et c’est dommage parce que c’est l’argent de la population et on avait besoin de ces gens-là. »
À cela, Louis Leclerc ajoute que « ce ne sont pas des gens qui sont arrivés de nulle part : on a choisi les meilleurs, on les a amenés ici et ils sont ici pour aider nos entreprises. Ces gens-là, il y en a que ça fait 6-7 ans qu’ils habitent ici. Ils ont eu des enfants ici. Leurs enfants vont à l’école ici. Ils sont intégrés ici. Ils sont chez eux. »
Effet domino
Louis Leclerc explique également que le départ d’une partie des travailleurs étrangers entraînera des répercussions sur la structure même des entreprises et de l’économie régionale.
« Ce sont des chaînes de production au complet qui vont tomber. Les travailleurs étrangers, comme tout le monde, ils occupent un emploi spécifique, comme soudeur. Et un soudeur, ça peut faire travailler un dessinateur, un monteur d’acier, un peintre, etc. Donc, si t’as 30 soudeurs supplémentaires, tu crées beaucoup plus d’emplois, mais si ces gens-là ne sont plus là, ce sont aussi d’autres emplois qui vont partir. Tout le monde va être affecté. »
« Chaque fois qu’il y a un travailleur étranger qui part, ce sont trois emplois québécois qui partent », résume le directeur général d’Alliage 02, Marc St-Hilaire.
Qui plus est, le préfet de la MRC de Lac-Saint-Jean-Est, Louis Ouellet, prévient que les entreprises du Saguenay-Lac-Saint-Jean seront prochainement appelées à participer à plusieurs grands chantiers. Or, sans l’apport des travailleurs étrangers, plusieurs d’entre elles risquent de devoir décliner des contrats. « Seulement en perte de contrats, dit-il, on parle d’une perte de 50 M$ pour la région. »
Les limites de l’autonomisation
Par ailleurs, si l’autonomisation et la robotisation peuvent parfois pallier le manque de main-d’œuvre, ces solutions ne sont pas toujours applicables.
« Je veux dénoncer l’arrogance de certains politiciens provinciaux, lance Louis Leclerc. Il y a des politiciens qui pensent que la robotisation, c’est facile, qu’on a juste à mettre des robots. Il y a des comparaisons qui sont faites avec l’Allemagne, mais on a juste à regarder le nombre de robots par habitant là-bas, et on comprend qu’on est loin de ça. Je suis allé en Allemagne et j’ai visité la plus grosse usine de Volkswagen. Il y a 6 000 robots là-dedans, mais l’industrie automobile, c’est une industrie qui se robotise facilement. Par contre, fabriquer des structures d’acier, des moulins à scie, faire des alumineries, bref, toutes les industries qu’on a au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on ne peut pas mettre des robots à 100 %. Ce n’est pas comprendre notre industrie que de penser qu’on peut la robotiser entièrement. On a besoin d’humains. »
Il s’agit d’un point de vue partagé par Marc St-Hilaire. Affirmant que « le modèle de la robotisation et de l’autonomisation a ses limites », il illustre son propos en ajoutant « qu’il n’y a pas un robot qui va aller souder sur un barrage ».
Doléances
Les acteurs politiques et économiques interrogés par le journal Le Lac-St-Jean réclament minimalement que les entreprises puissent conserver leurs travailleurs déjà en poste. Ils plaident également en faveur de politiques migratoires reflétant davantage la réalité propre à chaque territoire, tant au provincial qu’au fédéral.
Selon les données de 2021, le Saguenay-Lac-Saint-Jean représente 3,2 % de la population du Québec, mais n’accueille que 1 % des migrants.