Dimanche, 05 octobre 2025

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Malgré les brûlures, la perte d’un ami et de tout ce qu’elle avait

Suzanne Jean raconte son histoire la tête haute

Yohann Harvey Simard
Le 03 octobre 2025 — Modifié à 12 h 45 min le 03 octobre 2025
Par Yohann Harvey Simard - Journaliste de l'Initiative de journalisme local

Personne n’est préparé à vivre ce que Suzanne Jean a vécu dans la nuit du 19 au 20 septembre dernier. La nuit où elle a perdu son logis, tous ses biens ainsi qu’un ami cher. Une nuit qui aurait bien pu être sa dernière, affirme la rescapée de l’incendie qui a ravagé un immeuble à logements d’Alma il y a deux semaines et dans lequel deux personnes ont trouvé la mort.

« J’ai été bénie », résume celle qui n’a pas d’autre façon d’expliquer qu’elle soit toujours en vie aujourd’hui. Chose certaine, Suzanne Jean a eu beaucoup de chance, et surtout beaucoup de courage.

Les évènements

Tard dans la nuit du vendredi 19 septembre, alors qu’elle se brossait les dents avant de se mettre au lit, Suzanne Jean aperçoit de la fumée par la fenêtre de sa cuisine. « Au début, dit-elle, je me suis dit que le feu était pogné dans le bloc d’en face. »

Curieuse, elle s’approche de la fenêtre pour voir de quoi il en retourne. Suzanne Jean comprend rapidement qu’elle est en danger alors que ladite fenêtre explose sous la chaleur générée par les flammes qui, c’est ce qu’elle constate, proviennent finalement de son immeuble. À partir de ce moment, tout ira très vite.  

Lorsqu’elle réalise la gravité de la situation, Suzanne Jean se précipite au salon pour réveiller son ami qui dormait alors sur le divan. Elle se dirige ensuite vers la cage d’escalier, la seule sortie de son immeuble, mais constate avec effroi que « le feu était déjà pogné dans le passage, où la descente d’escaliers, dans le plafond, partout. Il y avait plein de fumée noire. »

Pris au piège, Suzanne Jean et son ami Guy Ouellet, 81 ans, se réfugient sur le balcon de l’appartement, qui se trouve au 2e étage. À cette étape, le brasier est généralisé, le balcon étant le dernier endroit qui n’a pas été investi par les flammes, ce qui ne saurait tarder.

« J’ai dû éteindre le feu qui était pris sur mon ami avec une couverture. Ses cheveux avaient commencé à brûler. Nous étions dans les flammes, ça tombait de partout. On ne pouvait plus respirer, on devait respirer dans la couverture parce qu’il y avait trop de boucane. »

La seule option: « sauter dans le vide »

Le balcon étant devenu les derniers retranchements de Suzanne Jean et de Guy Ouellet, s’ils veulent survivre, ils n’ont pas d’autre choix: ils doivent se jeter du 2e étage.

« Moi, j’avais le feu tout autour de moi et j’essayais de convaincre mon ami de sauter, je ne pouvais pas le prendre sur mon dos. Mais il n’a pas voulu me suivre. La dernière fois que je lui ai parlé, il m’a dit “Suzanne, je ne suis pas capable! Suzanne, je ne suis pas capable, j’étouffe!” »

Tromper la mort

Déchirée à l’idée de ne pas pouvoir sauver son ami, les secondes sont néanmoins comptées pour Suzanne Jean. Pour survivre, elle devait agir, et vite.

C’est ainsi qu’elle décide de s’agripper à son balcon du bout des bras, les pieds dans le vide, avec l’intention de se laisser tomber sur le balcon du 1er étage pour limiter la hauteur de sa chute.

« Moi, j’essayais encore de convaincre mon ami de me suivre, et les gens qui étaient dans la rue criaient : “elle va se tirer dans le vide! Elle va se tirer dans le vide!” Et puis, je l’ai fait, je me suis tirée dans le vide. Mais là… Pour que je fasse ce geste-là, c’est bien parce que Dieu était avec moi. »

Opération divine ou pas, ce qui est certain, c’est que Suzanne Jean doit en bonne partie la vie au policier qui se trouvait sur le balcon du 1er étage.

« Quand je me suis laissé tomber, j’ai réussi à faire comme je voulais et j’ai pogné le garde du balcon d’en bas avec ma main droite. Ma main gauche, par contre, c’est le policier qui était là et qui ne savait même pas que j’allais sauter qui l’a pognée au vol! Donc, en ayant une main sur le garde et lui qui me tenait l’autre bras, j’ai réussi à me stabiliser pour me monter sur la galerie. Après, j’ai tout de suite pris l’échelle qui était là pour descendre. »

Suzanne Jean adresse ses remerciements les plus sincères au policier qui l’a attrapée au vol ce soir-là.

En vie, mais pas indemne

C’est donc de justesse que Suzanne Jean a échappé à la mort, contrairement à son ami, Guy Ouellet, qui y est resté, laissant la survivante dans le deuil. Mais ce n’est pas le seul deuil de l’Almatoise, qui a également perdu la demeure où elle résidait depuis dix ans.

Éprouvée émotionnellement, la survivante garde aussi des séquelles physiques, notamment des brûlures aux 2e et 3e degrés sur ses bras et ses mains, de même que trois fractures à l’un de ses pieds en raison de sa chute du 2e étage.

Les pompiers ont-ils fait leur travail correctement?

C’est ce que se demande Suzanne Jean, affirmant ne pas avoir l’impression qu’elle et son ami ont reçu l’aide qu’ils auraient dû recevoir. Le journal Le Lac-St-Jean a fait une demande d’entrevue auprès du service des incendies d’Alma pour obtenir sa version des faits, mais était toujours sans réponse au moment d’écrire ces lignes.

Quoi qu'il en soit, raconte Suzanne Jean, lorsqu’elle et son ami se trouvaient sur le balcon, « les polices étaient là, les pompiers étaient là, les ambulances étaient là. » Toutefois, poursuit la rescapée, « il y avait des pompiers dans la rue, un qui arrosait de l’autre bord, mais aucun qui arrosait du côté du balcon où était encore mon ami en vie. Moi, je me disais : “lâche le feu un peu pis viens arroser où il y a encore du monde en vie!”

Suzanne Jean ajoute qu’il « y avait une échelle qui allait jusqu’au balcon d’en bas », mais pas d’échelle suffisamment haute pour atteindre le sien. À son avis, « il y a eu un manquement du côté des pompiers ».

« J’étais sûre que Guy et moi, on allait tous les deux s’en sortir. Je veux dire, on aurait pu s’en sortir! Ça aurait juste pris une échelle qui monte sur mon balcon et on aurait tous les deux été sauvés… »

Au terme de son entrevue avec le journal Le Lac-St-Jean, Suzanne Jean s’est levée, a pris le café et le beigne qu’elle venait d’acheter à la Boulangerie Lesage, puis elle est partie. Elle s’en allait visiter un nouvel appartement.

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