Chroniques

Temps de lecture : 2 min 28 s

Le droit à la déconnexion

Le 31 juillet 2025 — Modifié à 07 h 00 min le 31 juillet 2025
Par Stéphanie Gagnon

J’ai lu cette phrase partagée par mon amie Alexandra.

Do more things that make you forget to check on your phone.
(Fais plus de choses qui te font oublier ton téléphone).

J’ai soupiré, fatiguée. C’est désagréable quand une vérité te rentre dedans comme ça parce que je sais, je le sais tellement que je regarde mon téléphone ben trop souvent à chaque jour. Même quand je sais que rien n’est urgent, je le consulte. Par réflexe, et je persiste à y retourner même si ce que j’y trouverai sera probablement creux, ou anxiogène. C’est souvent les deux.

Et, c’est pas toujours les réseaux sociaux, quoique l’algorithme connaît parfaitement mes failles et me les sert sur un plateau pour me garder captive le plus longtemps possible. Ce sont aussi les courriels de job, les notifications, les nouvelles «qu’on ne peut pas se permettre de manquer», les messages de collègues envoyés à 21h17 avec ce ton passif-agressif de l’urgence fabriquée, avec en prime plein de monde en copie.

Comme si on devait tout savoir, tout de suite. Tout régler, maintenant, et que de ne pas répondre dans l’heure était rendu hostile.

Le droit à la déconnexion est inscrit dans la loi dans plusieurs pays, surtout en Europe, mais même chez nos voisins Ontariens. Comme une reconnaissance officielle que la santé mentale passe aussi par la possibilité de ne pas répondre tout de suite et qu’un courriel à 22 h, c’est pas un signe de dévouement, mais un empiètement sur le temps qu’on a pour se retrouver.

Pendant qu’ailleurs ils apprennent à protéger leur équilibre, ici on continue à glorifier l’hyperdisponibilité, à applaudir ceux qui répondent en moins de trois minutes, jour, nuit, week-end compris.

Plusieurs transposent cette «rigueur» à leur vie personnelle, comme si tout devait être montré sinon ça ne compte pas. Comme si on avait besoin de la validation d’une communauté virtuelle pour applaudir nos faits et gestes, des plus grandioses aux plus banals.  

Vivre le moment lui-même, sans y chercher un potentiel de publication, ça se perd. On ne regarde plus un lever de soleil sans penser: «Est-ce que c’est assez beau pour une story?» Maudite culture d’image, on dirait qu’on fait du marketing avec nos vies. Un moment devient une photo, une émotion devient du contenu. C’est superficiel. Et triste.

Je me rends compte que les moments où je suis bien, mais vraiment bien là, sont ceux où j’oublie mon téléphone quelque part. Pas parce que je me suis disciplinée, juste parce que j’ai été avalée par le moment, un moment que je vis en entier, sans penser à les partager. Et c’est ce qui les rend beaux. Les publier leur volerait de leur magie. Ils m’appartiennent, à moi et aux personnes présentes.

Je ne veux pas diaboliser les écrans. Je vais juste cultiver un peu plus les choses qui me font oublier de vérifier si j’ai reçu un nouveau courriel.

Je veux m’oublier dans ce que je fais, au lieu de vérifier si quelqu’un, quelque part, pense à moi en ligne. Je vais publier encore des affaires, mais certains instants sont juste trop pleins, trop vrais, trop à moi pour se partager en pixels. Ou être interrompus par une fausse urgence.

Les courriels peuvent attendre. Les likes aussi. Moi, non.

Remplissons nos vies à ras bord de projets vivants, de gens stimulants, d’activités qui nous allument pour vrai ! Si on vivait des journées si pleines qu’on n’a plus besoin de fuir vers nos écrans, peut-être que notre téléphone redeviendrait ce qu’il était censé être: un outil, et non un refuge.

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